- Détails
- Écrit par Maître Philomène Conrad
- Catégorie parente: Actualités
Dispositions de la loi du 10/07/1965 d'ordre public et résolution d'assemblée nulle et non écrite
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a eu à connaître d'un contentieux curieux et amusant, qui a donné lieu à un jugement du 10 juillet 2012 de sa 8ème chambre très novateur.
La situation de fait correspond à un mauvais scénario pour le propriétaire, une SCI :
- la SCI avait signé le 21 mars 2006 avec Monsieur X une promesse synallagmatique de vente portant sur deux lots d'un immeuble de la rue Gay Lussac donnant sur la fontaine du Luxembourg,
- une assemblée générale de copropriété avait été convoquée, qui ne comportait à l'ordre du jour aucune résolution concernant les lots N°5 et 47 objet de la promesse, et qui avait seulement pour ordre du jour les décisions annuelles habituelles (approbation des comptes, renouvellement du mandat du syndic....),
- lors de l'assemblée tenue le 14 juin 2006, les copropriétaires dont Monsieur X vendeur de la SCI, avaient approuvé à l'unanimité (10 000/10 000) une résolution portant sur le lot 5 et décidant « l'interdiction d'exercer par les futurs acquéreurs tout commerce de bouche à savoir épicerie, sandwicherie, traiteur, restauration et restauration rapide sur place ou à emporter»,
- la SCI, avait seulement été prévenue par un courrier de son notaire avant la réitération, que l'assemblée avait approuvé une telle résolution, sans savoir encore que Monsieur X, son vendeur, avait approuvé ladite résolution.
Il faut préciser, fait très important, que l'immeuble concerné comporte plusieurs locaux commerciaux dont une brasserie-restaurant connue du quartier.
La vente avait néanmoins été signée et la SCI avait assigné le syndicat des copropriétaires en annulation de la résolution.
Un jugement du 8 juillet 2008 de la même chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris l'avait comme prévisible déclaré irrecevable en ses demandes, faute d'avoir la qualité de copropriétaire au moment de l'assemblée du 14 juin 2006.
Une contestation d'assemblée est une action personnelle et sauf clause de subrogation spécifique et prévue à cet effet à l'acte de vente, seul le demandeur copropriétaire au moment de l'assemblée est recevable à agir. En l'espèce, il n'y avait aucune action à subroger puisque le vendeur de la SCI avait malicieusement voté « Pour » la résolution...
Quelques années passent et la SCI, qui a un locataire dont l'activité de prêt à porter n'est pas florissante, est approchée en 2010 par une enseigne exploitant un commerce de bouche.
La SCI et son Conseil d'alors, provoquent la tenue d'une assemblée en mai 2011 sur une autorisation de travaux au profit de cette enseigne tout en indiquant et en soutenant, dans le projet de résolution que « la 9ème résolution de l'assemblée du 14 juin 2006 qui vise uniquement les futurs acquéreurs ne peut et ne doit pas s'appliquer à la SCI bénéficiaire d'une promesse synallagmatique de vente ».
Les copropriétaires refusent l'autorisation de travaux lors d'une assemblée du 9 mai 2011 et contestent ce qu'ils considèrent comme une interprétation de leur décision de l'assemblée du 14 juin 2006.
La SCI, ce qu'elle avait prévu, introduit alors une procédure par laquelle elle soutient outre l'annulation de la décision de l'assemblée du 9 mai 2011:
- l'inopposabilité de la résolution de l'assemblée du 14 juin 2006,
- le caractère nul et non écrit de la résolution de l'assemblée du 14 juin 2006 au regard des dispositions des articles 43, 8 et 9 de la Loi du 10 juillet 1965 en ce qu'elle correspond à une nouvelle disposition du règlement de copropriété qu'elle avait pour objet de modifier.
La SCI ne demande pas l'autorisation judiciaire des travaux puisque le locataire candidat a abandonné son projet devant l'hostilité des copropriétaires...
Plus pratiquement la SCI soutient que l'interdiction votée par les copropriétaires correspond à une restriction à la jouissance de son lot, qui n'est pas justifiée par la destination de l'immeuble telle qu'elle est définie aux actes par ses caractères ou sa situation.
Le jugement rendu en 2012 donc, sur une assignation de 2011 contre une résolution d'assemblée de 2006, pose pour dire non écrite et donc de nul effet cette résolution que « Attendu qu'aux termes de l'article 43 de la loi du 10 juillet 1965, toutes clauses contraires aux articles, notamment, 6 à 37 de la loi sont réputées non écrites ; qu'une résolution restreignant les activités autorisées dans l'immeuble et donc modifiant les clauses du règlement de copropriété peut également être déclarée, sur le fondement de cet article, non écrite ; que l'absence de modification formelle du règlement de copropriété ne permet pas au Syndicat d'échapper à cette sanction si la résolution adoptée est contraire aux articles susvisés ».
En rétablissant à la vieille résolution querellée sa qualification de modification des dispositions du règlement de copropriété, le jugement autorise sur le terrain de la non-conformité aux différentes dispositions d'ordre public de la loi du 10 juillet 1965, la contestation d'une assemblée bien au-delà du délai de prescription de deux mois de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965, voir des années après.
La décision est équitable et il faut espérer qu'elle sera suivie en ce qu'il apparait nécessaire que le Juge puisse examiner sur un même terrain d'égalité des résolutions d'assemblées "définitives", même si elles n'ont pas donné lieu à un modificatif au règlement de copropriété publié à la Conservation des hypothèques, et des clauses d'un règlement de copropriété.
Maître Philomène Conrad, Avocat en droit de l'immobilier à Paris